Soutien à Inès Leraud

Portrait le jeudi 9 novembre 2017 de Ines Léraud, productrice de France-Culture basée en Bretagne (Commune de Maël-Pestivien dans les Côtes d'Armor) par Vincent Gouriou

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Mise à jour du 19/05/20 : Le comité de soutien à Inès Leraud tiendra une conférence de presse le vendredi 22 mai à 11h au 1 rue Zénaïde Fleuriot à Saint-Brieuc.

Tribune parue sur Libération. La crise sanitaire actuelle nous le montre : la vigilance pour la sauvegarde des libertés fondamentales est un combat à reprendre sans trêve. Pour certains, cet attachement semble un luxe dont on pourrait se passer quand la situation est dictée par l’urgence. Cette idée reçue constitue une erreur dangereuse. C’est pourquoi, même si tout semble nous inviter à regarder ailleurs et à s’accommoder de régressions démocratiques prétendument inévitables, il nous importe de porter à la connaissance publique une affaire qui attire notre plus grande attention.

Nous sommes des militants associatifs, agriculteurs, scientifiques, auteurs, avocats, journalistes, syndicalistes, élus, citoyennes et citoyens. Nous estimons qu’il est de notre devoir, moral et civique, de faire connaître la situation inacceptable rencontrée par la journaliste Inès Léraud. Nous appelons à la soutenir alors que des intimidations et procès visent à faire taire son activité. Plus généralement, nous entendons défendre la liberté d’informer face aux intérêts privés qui aimeraient la restreindre.

Inès Léraud est une journaliste connue pour avoir beaucoup enquêté sur l’industrie agroalimentaire en Bretagne. Elle s’est notamment immergée dans un village breton et a suivi de près l’intoxication par les pesticides dont ont été victimes des salariés de la plus grande coopérative agricole bretonne, Triskalia. Par des reportages diffusés sur France Inter et France Culture notamment, elle a mis au grand jour des pratiques courantes, illégales et souvent dangereuses, mises en œuvre par certains puissants acteurs du secteur agroalimentaire. Ces pratiques, hélas, se sont révélées régulièrement «couvertes» par des administrations et les élus. Cette journaliste, dont le travail a été notamment salué par le quotidien le Monde, s’est aussi intéressée aux «marées vertes» qui se sont répandues sur les côtes bretonnes depuis l’avènement de l’élevage industriel. Cet intérêt a débouché sur une bande dessinée réalisée en collaboration avec Pierre Van Hove aux éditions La Revue dessinée-Delcourt (2019), Algues vertes, l’histoire interdite, un album qui connaît un retentissant succès. Suite à cette publication, deux séries d’évènements nous alertent.

Pressions et intimidations : la fabrique du silence

En mars 2020, l’hebdomadaire le Canard enchaîné révèle que la venue de la journaliste au Salon du livre de Quintin (Côtes-d’Armor) a été annulée après l’intervention auprès de l’équipe du salon d’un élu de la municipalité. Ce dernier est par ailleurs salarié de la chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor (dirigée par la FNSEA). Un peu plus tôt, la journaliste avait appris qu’une maison d’édition régionale avait préféré renoncer à son projet de traduction en breton de la bande dessinée Algues vertes, l’histoire interdite, par peur de perdre des subventions du Conseil régional de Bretagne.

Quelques mois plus tôt, fin 2019, Inès Léraud a été visée par une plainte en diffamation de Christian Buson, un personnage phare du paysage agroalimentaire breton. Il est directeur d’un «bureau d’études en environnement», le GES, qui prodigue des conseils à destination des agro-industries (près de 4 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel). Il est aussi président de l’Institut technique et scientifique de l’environnement (ISTE) fondé entre autres par les entreprises Lactalis, Daucy et Doux en 1996. Cet institut est notamment connu pour propager des thèses sur les marées vertes favorables au secteur agro-alimentaire. Il est enfin secrétaire général de l’Association francophone des climat-optimistes (AFCO) qui lutte contre la diffusion des informations scientifiques relatives au réchauffement climatique.

Dès 2017, Christian Buson n’hésitait pas à dénigrer la journaliste après la diffusion de ses enquêtes sur les marées vertes bretonnes sur les ondes radio. Il lui écrivait par courriel : «Vous pourrez postuler pour le Prix Elise Lucet de la désinformation […] Je vous souhaite évidemment une brillante carrière». La plainte en diffamation qu’il lui intente par la suite ressemble à une vendetta ad hominem : elle ne vise aucunement, comme il est de coutume, la journaliste et le directeur de publication (ou l’éditeur), mais uniquement la journaliste. Elle est par ailleurs déposée dans la boîte aux lettres de la maison où Inès Léraud vivait quand elle menait ses enquêtes dans un hameau, au cœur du centre-Bretagne. Prêtée par des proches, cette maison n’a jamais été sa résidence officielle. Une manière subtile de lui dire : «on sait où vous trouver» ?

Christian Buson a renoncé à sa plainte quelques jours avant l’audience prévue le 7 janvier 2020, alors que la journaliste et son avocat avaient préparé leur dossier de défense. Une preuve que cette attaque judiciaire était une tentative d’intimidation.

Doit-on laisser la Bretagne devenir le far-west ?

Quelques mois plus tôt, Jean Chéritel, PDG du groupe Chéritel, dépose une plainte en diffamation contre Inès Léraud, suite à la publication de son enquête intitulée «Travail dissimulé, fraude sur les étiquettes : les multiples abus d’un groupe agro-industriel breton» (Bastamag, 26 mars 2019). Le groupe Chéritel est un important grossiste en fruits et légumes, qui revendique 45 millions de chiffre d’affaires et 120 salariés. Il approvisionne les enseignes Leclerc, Intermarché, Auchan, Carrefour, Système U, Aldi ou encore Quick et KFC.

Jean Chéritel n’en est pas à sa première procédure judiciaire destinée à inhiber le travail journalistique. En 2015, il attaque en diffamation le quotidien régional le Télégramme suite à la publication d’un article sur l’emploi illégal de travailleurs bulgares au sein du groupe. Le Télégramme perd alors son procès. Mais, trois ans plus tard, en décembre 2018, les révélations du quotidien régional sont confirmées : le groupe Chéritel est condamné par le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc à 261 610 euros d’amende pour «délit de marchandage […] commis à l’égard de plusieurs personnes : opération illégale à but lucratif de fourniture de main-d’œuvre». Son gérant, Jean Chéritel, écope de 10 000 euros d’amende, deux mois de prison avec sursis et deux ans d’interdiction d’exercer l’activité de sous-entrepreneur de main-d’œuvre. Le groupe et son gérant ont fait appel.

Le procès intenté au Télégramme agit comme un bâillon invisible sur la presse bretonne. Après lui, celle-ci ne s’intéresse plus guère à cette entreprise. En 2017, lorsqu’une source appelle des journaux locaux pour leur faire part d’une fraude massive sur les tomates au sein du groupe Chéritel, les rédactions se censurent et ne donnent pas suite. Avertie par des confrères, Inès Léraud décide d’enquêter. Ce travail lui prend six mois. Elle découvre aussi bien les fraudes de Jean Chéritel que sa façon d’anéantir les critiques, dans l’entreprise comme au dehors. Elle s’étonne également de l’absence de syndicat au sein du groupe, qui comprend pourtant 120 salariés ! Bastamag décide de publier cette enquête. Ce journal, coordonné par Agnès Rousseaux et Ivan du Roy, est connu pour avoir mené plusieurs investigations sur le groupe Bolloré et remporté les nombreuses procédures intentées par cet industriel. Quelques mois après la publication de l’enquête, le groupe Chéritel est condamné à près de 100 000 euros d’amende et son gérant à  une peine de prison avec sursis pour maquillage de l’origine de ses produits (novembre 2019). Quoique multi-condamnée en première instance, cette entreprise continue de s’en prendre à celles et ceux qui tentent d’informer sur ses pratiques contestables. Ainsi, la procédure qu’elle vient d’intenter contre Inès Léraud. Elle débouchera sur une audience au TGI de Paris qui aura lieu les 20 et 21 janvier 2021.

La liberté d’informer, un instrument démocratique à protéger

En 2020, en France, une journaliste est donc inquiétée sur deux fronts pour n’avoir fait que son travail : informer ses concitoyens sur le fonctionnement de l’industrie agro-alimentaire, secteur économique central en Bretagne. Comment une telle stratégie d’intimidations et de menaces est-elle possible dans un territoire de la République ? Certains acteurs de l’agro-alimentaire seraient-ils au-dessus des lois au point, non seulement de contrevenir au droit, mais aussi de tout faire pour que personne ne puisse le faire savoir ?

Nous, citoyennes et citoyens, militants associatifs, agriculteurs, scientifiques, chefs cuisiniers, avocats, journalistes, élus, syndicalistes, auteurs, nous ne nous résignons pas face à ces attaques envers la liberté d’informer. Celle-ci est déjà mise à l’épreuve par la tendance à sanctuariser le «secret des affaires» au profit des grandes puissances économiques. Nous en sommes persuadés : nos démocraties, au niveau national comme au niveau régional, ont besoin de cette liberté qui, seule, garantit l’effectivité de contre-pouvoirs citoyens. Cette liberté d’informer s’exerce à l’égard des pouvoirs politiques ; il importe qu’elle s’exerce aussi envers les puissances économiques et financières qui ont pris une importance considérable dans notre société. Ces dernières doivent donc être soumises aux devoirs qui s’appliquent à tout un chacun.

En tant que citoyen, chacun a le droit de connaître la réalité pour être en capacité d’exprimer librement ses choix politiques, quels qu’ils soient. Soutenir la journaliste Inès Léraud face à de tels agissements, c’est défendre la liberté d’information, ce bien démocratique si précieux.

Les signataires

Pierre-Henri ALLAIN, journaliste ; Edith ANDOUVLIE, maire d’Us ; Yann Arthus- BERTRAND, photographe et réalisateur ; Florence AUBENAS, journaliste ; Isabelle ATTARD, ancienne députée, Pierre AUROUSSEAU, agronome ; Raymond AVRILLIER, maire-adjoint honoraire de Grenoble ; Delphine BATHO, députée, ancienne ministre de l’Ecologie ; Jacques BENZAKOUN, journaliste ; Nicolas BERARD, journaliste ; Michel BESNARD, militant associatif ; Eric BEYNEL, porte-parole de l’union syndicale Solidaires ; Yves BILLON, syndicaliste ; Benoît BITEAU, agriculteur, agronome, député européen ; Michel BLIN, agronome ; Sylvie BOURBIGOT, ancienne conseillère générale ; José BOVE, ancien député européen ; Hubert BUDOR, cinéaste ; Henri BUSNEL, militant associatif ; Jacques CAPLAT, chercheur en agronomie ; Michèle CARMES, élue municipale ; Amandine CASADAMONT, artiste-auteur ; Fabien CHARBONNIER, paysan ; Hélène CHAUVEAU, chercheuse en géographie ; Denis CHEISSOUX, producteur de radio ; Anne Laure CHOUIN, journaliste radio ; Jean-Marc CLERY, syndicaliste ; David COCAULT, syndicaliste ; Yves COCHET, ancien ministre de l’Environnement ; Joseph CONFAVREUX, journaliste ; Emilien COUSIN, membre du bureau national du mouvement Utopia ; Daniel CUEFF, maire de Langouet ; Olivier CUZON, syndicaliste ; Mirjam CZJZEK, chercheure (CNRS) en biochimie ; Katia DANOFFRE, militante associative ; Etienne DAVODEAU, auteur de bande-dessinée ; Serge DA SILVA, syndicaliste ; Brigitte DEBREU-MILON, militante associative ; Sylvie DERRIEN, militante associative ; Patrice DESCLAUD, militant écologiste ; Mathias DESTAL, cofondateur de Disclose ; Pascal DEUX, réalisateur radiophonique ; Yvette DORE, ancienne maire d’Hillion ; Thomas DUBREUIL, avocat en droit de l’environnement, François DUFOUR, paysan et conseiller régional de Normandie ; Dominique DUHAMEL, militant associatif ; Vincent ESNAULT, élu local et militant environnementaliste ; Pierre ETIENNE, militant associatif ; Alexandre FARO, avocat en droit de l’environnement ; Léa FEHNER, cinéaste ; Elise FELTGEN, libraire ; Muriel FIANACCA, militante associative écologiste ; Stéphane FOUCART, journaliste ; Laurence FRANCHISSE-REYNAUD, comptable ; Claude FUSTIER, militant environnementaliste ; Marie-Claude GARCIA, militante associative ; André GARCON, syndicaliste ; Nicole GELLOT, journaliste ; Lisa GIACHINO, journaliste ; Fabien GINISTY, journaliste ; Jean- Marie GOATER, éditeur ; Marion GORGIARD, militante associative ; Alain GOUTAL, dessinateur ; Corinne GRAVIGNY, militante associative ; Morgane GUESSANT, syndicaliste ; Eric GUERET, réalisateur ; Dominique GUIHO, militant associatif ; Jean-Paul GUYOMARC’H, chercheur en biologie ; Xavier HAMON, membre de l’Alliance Slow Food des Cuisiniers ; Jean HASCOET, militant environnementaliste ; Jean-Luc HERROU, militant associatif ; Pierre HINARD, agronome et éleveur ; Marie-Jeanne HUSSET, présidente d’Agir pour l’environnement ; Daniel IBANEZ, économiste ; Yannick JADOT, député européen ; Stéphen KERCKHOVE, délégué général d’Agir pour l’Environnement ; Perrine KERVRAN, productrice radio et documentariste ; Alexandre-Reza KOKABI, journaliste ; Ingrid KRAGL, directrice de l’information de l’ONG Foodwatch ; Joël LABBE, sénateur ; Fleur LACARELLE, paysanne ; François LAFFORGUE, avocat ; Denis LAGRUE, vétérinaire ; Guy LALUC, journaliste (presse agricole) ; Morgan LARGE, élue locale et animatrice radio ; Nadine LAUVERJAT, coordinatrice de Générations Futures ; Carole LE BECHEC, membre du CESER de Bretagne ; Catherine LEBLANC, directeur de recherche au CNRS (biologie marine) ; Yvan LE BOLLOC’H, ex-animateur TV et musicien ; Jean-René Le GLATIN, militant associatif ; Jean-Luc LE GUELLEC, syndicaliste ; Annie LE GUILLOUX, militante associative ; Yves- Marie LE LAY, militant associatif ; Corinne LEPAGE, avocate, ancienne ministre de l’Environnement ; Jeanne LE PIVERT, militante associative ; Serge LE QUEAU, syndicaliste ; Jade LINDGAARD, journaliste ; Laurent LINTANF, militant associatif ; Geoffrey LIVOLSI, co-fondateur du média Disclose ; René LOUAIL, paysan, syndicaliste, ancien conseiller régional de Bretagne ; Gilles LUNEAU, journaliste et réalisateur ; Mathieu MAURIES, paysan ; Alain MENESGUEN, chercheur en océanographie ; Michel MERCERON, chercheur honoraire en biologie ; Daniel MERMET, journaliste ; Guillaume MEURICE, humoriste ; Janick MORICEAU, ancienne conseillère régionale ; Gildas MORVAN, adjoint au maire à Tréduder ; Yasmine MOTARJEMI, ex-responsable de la sécurité sanitaire des aliments à Nestlé ; Amélie MOUGEY, journaliste ; Fabrice NICOLINO, journaliste ; Jonathan NOSSITER, réalisateur ; André OLLIVRO, militant écologiste ; Mariana OTERO, cinéaste ; Véronique PELLERIN, journaliste radio ; Catherine PERROUD-KIBLER, agro-économiste ; Pierre PEZERAT, réalisateur ; Pierre PHILIPPE, médecin urgentiste ; Anton PINSCHOF, paysan et syndicaliste ; Fabien PLASTRE, service communication du journal l’Âge de faire; Philippe POTIN, biologiste marin (CNRS) ; Jean- Yves QUEMENEUR, militant associatif ; Véronique REBEYROTTE, journaliste ; Yorghos REMVIKOS, professeur en santé environnementale ; Maxime RENAHY, investigateur économique ; Gildas RENOU, universitaire en science politique ; Bruno de REVIERS de MAUNY, chercheur en biologie (MNHN); Andréa RIGAL-CASTA, avocat ; Michèle RIVASI, députée européenne ; Coline ROBERT, avocate ; Lydia ROBIN, secrétaire de rédaction ; Marie-Monique ROBIN, journaliste et écrivaine ; Olivier ROELLINGER, chef cuisinier ; Laëtitia ROUXEL, auteure de bande dessinée ; François RUFFIN, député ; Agnès SACHSE, professeure d’art équestre ; Bernard SACHSE, professeur d’art équestre ; Etienne de SAINT-LAURENT, militant associatif ; Jean SARRASIN, militant écologiste ; Viviane SERRANO, syndicaliste ; Khaled SID MOHAND, journaliste ; Alain STEPHAN, syndicaliste ; Jean-Michel TAILLANDIER, nivologue ; Annie THEBAUD-MONY, sociologue de la santé (INSERM) ; Mathieu THEURIER, vice-président de la métropole de Rennes ; Thierry THOMAS, paysan et syndicaliste ; Aurélie TROUVE, agroéconomiste, porte-parole d’ATTAC ; Alain UGUEN, militant écologiste, ancien conseiller régional ; Gabriel ULLMANN, expert judiciaire en environnement ; Elise VAN BENEDEN, présidente d’Anticor ; François VEILLERETTE, directeur de Générations Futures

Adresse à la présidence du Conseil régional de Bretagne, en réponse à ses messages publics et privés

Par le Comité de soutien à Inès Léraud

Depuis la publication de la tribune « Défendons la liberté d’informer sur le secteur agroalimentaire » parue dans Libération (8 mai 2020), Inès Léraud et son comité de soutien ont reçu plusieurs messages publics et personnels, leur demandant la suppression d’une phrase du texte cité, au motif que celle-ci ternit l’image de la Bretagne. Ces demandes émanent de la présidence du Conseil régional.

Examinons la phrase du texte qui déplaît aux responsables de l’exécutif régional : « Une maison d’édition régionale avait préféré renoncer à son projet de traduction en breton de la bande dessinée Algues vertes, l’histoire interdite, par peur de perdre des subventions du Conseil régional de Bretagne ». Jean-Michel Le Boulanger, premier vice-président délégué à la culture et à la démocratie, écrit au comité de soutien, dès le lendemain de la publication, qu’il “conteste absolument” cette phrase et lui demande “de bien vouloir [se] renseigner et, vérification faite, de retirer cette phrase”. Quant à Loïg Chesnais-Girard, président de la Région, il assurait vendredi soir, lors d’un “facebook live”, que le propos en question aurait été rapporté « sans être vérifié ».

Cette information – qui n’est que l’un des éléments portés à la connaissance du public dans cette tribune – a bien sûr été attentivement vérifiée par les auteurs du texte. Nous le réaffirmons. N’ayant pas eu accès aux échanges entre le comité de soutien et la maison d’édition, la présidence de Région ne peut bien sûr pas prétendre que cette information est fausse. Alors, comment comprendre ces messages ? L’exécutif régional refuse tout bonnement la possibilité concevoir des formes d’autocensure, comme s’il n’était pas envisageable que l’institution régionale puisse être en situation d’exercer des pressions indirectes et discrètes, notamment par sa politique de subventions.

Pourtant, les exemples passés qui expliquent qu’un éditeur puisse craindre de d’entreprendre un tel projet ne manquent pas, hélas. N’ayons pas la mémoire courte ! La bande-dessinée Algues vertes, l’histoire interdite rapporte des témoignages de scientifiques dont les travaux ont été tronqués ou censurés pendant plusieurs années par la Région Bretagne en 1988, en 1999 et en 2013. En 2011, au nom d’une soi-disante atteinte à l’image de la Bretagne, Jean-Yves Le Drian, président du Conseil régional, a fait interrompre une campagne de l’association France Nature Environnement qui dénonçait les méfaits de l’agriculture intensive, en affichant des photographies de marées vertes dans le métro parisien. Il est allé jusqu’à déposer une plainte en diffamation contre l’association, alors que les fait dénoncés sont établis scientifiquement . En 2004, Josselin de Rohan, président du Conseil régional de Bretagne, a fait supprimer une subvention au film “Mona Lisier” de Clode Hingant, en raison du propos critique envers le modèle agricole intensif qu’il contenait. Le journal Brest-Ouvert a qualifié cette suppression de “censure de la création artistique”…

Aujourd’hui, certains des élus régionaux ne se rendent pas compte que leurs demandes insistantes visant à faire supprimer un passage de la tribune, sont à la fois inappropriées et inquiétantes. En plus de corroborer ce qui est écrit dans la tribune, leur réaction ne prouve-t-elle pas qu’ils ont encore la tentation de contrôler ce que disent et écrivent publiquement les acteurs (culturels et associatifs) régionaux ?

Si la Présidence de la Région veut donner un signal fort montrant qu’elle aspire à changer d’ère, plusieurs choses simples pourraient être initiées par elle. Elle pourrait accepter la proposition (avancée par le comité de soutien) d’une rencontre et d’un débat contradictoire de vive voix. Elle pourrait aussi organiser les conditions d’une traduction rapide en langue bretonne de l’album Algues Vertes.

Par là, elle montrerait, d’une part, qu’elle entend contribuer à favoriser la circulation d’informations sur les questions agro-alimentaires et à nourrir un débat important pour notre région. D’autre part, elle enverrait un signal clair aux éditeurs, journalistes et autres acteurs de la scène sociale bretonne (associations, syndicats) : « n’ayez plus peur de publier des informations vérifiées qui améliorent la qualité du débat démocratique et qui éclairent les citoyens ! Il n’y aura dorénavant pas d’obstacles venant de notre part, si vous ne faites qu’exercer votre métier d’informer ».

Un débat démocratique est un espace où, par définition, tout le monde n’est pas d’accord. Chacun essaie d’y voir clair, modestement, en mettant en commun les quelques lumières dont il dispose. Un espace démocratique régional vivant ne peut pas être un lieu où règne l’unanimité, un espace de promotion d’élus par définition infaillibles ! Nous espérons que les représentants de la Région abandonnent ces réflexes d’un autre âge : la vie démocratique bretonne a grand besoin d’un espace de discussion contradictoire et respectueux. Certaines déclarations semblent montrer un désir de changement sur ce plan ; nous nous en réjouissons. En pratique, on sait qu’il est difficile de changer des habitudes enracinées. Nous voulons espérer que nos élus se révèlent enfin capables de traiter les citoyens comme des adultes, autonomes sur le plan intellectuel.

Monsieur le président de la Région Bretagne, l’occasion est trop belle de rompre, enfin, avec les logiques clientélaires archaïques qui minent la société bretonne depuis bien trop longtemps, comme l’expriment les milliers de citoyens qui ont signé la pétition de soutien à Inès Léraud, et ceux qui lui ont adressé des messages de soutien sur la page d’Agir pour l’environnement. Ne la manquez-pas !

Monsieur le président de la Région, puisque nous en sommes au chapitre des voeux, nous vous en adressons un dernier. Le collectif des victimes de l’empoisonnement par des insecticides dans la coopérative Triskalia demande à être reçu par l’institution régionale depuis près de dix ans. Il a été reçu solennellement par le Parlement Européen et par la Commission Européenne. Jusqu’à présent, la Région n’a jamais ouvert sa porte à ces victimes.

Tout un chacun peut imaginer qu’un tel choix découle de la promiscuité entre les élus et le secteur agroalimentaire. Le Président de la République n’a-t-il pas présenté les Bretons comme « la mafia française » lors de sa rencontre avec le pape François, en juin 2018 ? Cette phrase ne nous a ni fait rire, ni rendus fiers. Mais elle disait peut-être vrai. En Bretagne, aux yeux de beaucoup, les élus semblent ne pouvoir rien faire qui puisse déplaire au pouvoir invisible, le pouvoir économique incarné surtout par certains acteurs du secteur agro-alimentaire, de plus en plus hégémoniques, comme le montre la fusion de Triskalia et de Daucy (un groupe dont la Région Bretagne est devenue actionnaire à hauteur de 5 millions d’euros). En recevant enfin, avec toute la considération qui leur est due, les représentants des victimes des pesticides en Bretagne, vous avez l’opportunité de démentir l’idée selon laquelle la Bretagne serait une terre de mafia, c’est-à-dire (si les mots ont un sens) une contrée sous-développée sur le plan démocratique.

Ceux qui sont morts et ceux dont le corps est irrémédiablement meurtri par des pesticides n’ont-il pas le droit d’être enfin reconnus par l’institution régionale ? Pourquoi, depuis toutes ces années, la Région Bretagne a fait exactement comme si ils n’existaient pas, en préférant ignorer ces drames humains ? Ne serait-il pas temps de revoir, en profondeur, un modèle agroalimentaire qui s’est révélé insoutenable, tant écologiquement que socialement ?

Contact du comité de soutien à Inès Léraud : comitedesoutien-inesleraud@laposte.net