Lettre ouverte de la CGT au Ministre du Travail concernant le travail sous fortes chaleurs



Monsieur le Ministre du Travail,

Six décès de vendangeurs viennent d’être recensés en une semaine alors que les températures ont battu de nouveaux records. La situation à laquelle ont été exposé.es des millions de salarié.es depuis l’été 2023 (vagues de chaleur, canicule, etc.) appelle des mesures d’urgence pour que cesse l’hécatombe.

S’agissant de l’exposition des travailleurs et travailleuses à la chaleur, les conditions climatiques « extérieures » majorent souvent des ambiances thermiques d’entreprises où des sources de chaleur internes, liées au processus de production, exposent les salarié.es à des conditions parfois insoutenables et nocives.

Notre Ministère, dans sa communication, s’est contenté jusqu’à présent de mettre en avant des« consignes de bon sens », pour reprendre vos termes. Hervé LANOUZIERE est même allé jusqu’à affirmer dans la presse que les principes généraux de prévention étaient suffisants pour contraindre les employeurs sans qu’il ne soit nécessaire de renforcer la réglementation.

Or, force est de constater que les consignes et la réglementation actuelle sont insuffisantes pour protéger efficacement les travailleurs. Il y a donc urgence à faire évoluer et à renforcer la réglementation et le régime de sanction applicable en cas d’infraction. Par ailleurs, nous constatons que les outils juridiques de l’Inspection du Travail sont inadéquats en ces matières.

L’Etat français a ratifié, le 06/04/1972, la Convention n°120, laquelle prévoit à son article 10 qu’« une température aussi confortable et aussi stable que les circonstances le permettent doit être maintenue dans tous les locaux utilisés par les travailleurs. ». La Recommandation n°120, prise sur la base de cette convention, prévoit notamment :

VI. Température

19. Dans tous les lieux affectés au travail ou prévus pour les déplacements des travailleurs ou encore utilisés pour les installations sanitaires ou d’autres installations communes mises à la disposition des travailleurs, les meilleures conditions possibles de température, d’humidité et de mouvement de l’air, compte tenu du genre de travaux et du climat, devraient être maintenues.

20. Aucun travailleur ne devrait être tenu de travailler habituellement dans une température extrême. En conséquence, l’autorité compétente devrait déterminer les normes de température, soit maximum, soit minimum, soit l’une et l’autre, suivant le climat, le genre de l’établissement, de l’institution ou de l’administration et la nature des travaux.

21. Aucun travailleur ne devrait être tenu de travailler habituellement dans des conditions comportant de brusques changements de température considérés par l’autorité compétente comme nuisibles à la santé.

25. Lorsque les travailleurs sont soumis à des températures très basses ou très élevées, des pauses, comprises dans les heures de travail, devraient être accordées, ou la durée journalière du travail devrait être raccourcie, ou d’autres mesures devraient être prises en leur faveur.”

Ces dispositions internationales n’ont pas actuellement de transcription dans notre droit du travail national. 

Par conséquent, nous vous demandons de prendre les mesures qui s’imposent pour que la France respecte ses engagements internationaux, notamment :

1-      En fixant des seuils réglementaires contraignants d’exposition à la chaleur tenant compte de la charge et de la contrainte physiques du travail, de l’humidité et de la température de l’air (au moyen de l’indice WBGT, par exemple).

L’Institut National de la Recherche Scientifique (INRS) estime que, « au-delà de 30°C pour une activité sédentaire, et de 28°C pour un travail nécessitant une activité physique, la chaleur peut constituer un risque pour les salariés. ». Ces valeurs indicatives de référence pourraient devenir des VLEP réglementaires contraignantes.

Plusieurs pays européens disposent d’ores et déjà de seuils réglementaires. A titre d’exemple, le Code du Travail belge prévoit les seuils réglementaires suivants :

2-En créant un nouvel arrêt temporaire d’activité qui permettrait aux inspecteurs et aux contrôleurs du travail de soustraire les travailleurs au risque sans préjudice, notamment sans perte de salaire, (sur le modèle de ce qui existe déjà pour d’autres risques à l’article L4731-1 du code du travail) dès lors que le seuil d’exposition à la chaleur fixé réglementairement aura été dépassé.

Cette possibilité donnée aux inspecteurs du travail d’ordonner la cessation du travail si la santé ou la sécurité des travailleurs l’exige existe déjà dans d’autres pays européens, notamment dans le code pénal social belge.

3-En fixant des obligations précises aux employeurs, notamment celles visant à mettre en œuvre de moyens techniques de régulation de la température et de la ventilation, des moyens de refroidissement et de maîtrise du taux d’humidité dans l’air. En cas d’inefficacité et d’insuffisance des mesures précédentes, obligation de prendre des mesures de réduction de la durée d’exposition à la chaleur : modification des horaires de travail, alternance des temps de présence aux postes de travail et des temps de repos dans des locaux « frais », réduction de la durée journalière de travail et octroi de pauses additionnelles rémunérées et assimilées à du temps de travail effectif ;

4-En introduisant l’obligation pour l’employeur, corollaire logique des mesures précédentes, de mettre en place un système objectif, fiable et accessible de mesurage de la température et du niveau d’humidité, après information-consultation du CHSCT dont nous demandons le rétablissement, lequel devra disposer du schéma d’implantation et avoir accès aux résultats des vérifications périodiques de l’étalonnage…

5-En faisant obligation à l’employeur de procéder à des relevés réguliers, et « au fil de l’eau », d’ambiance thermique (obligation assortie de l’affichage obligatoire des résultats, d’un droit d’accès des salarié.es, du CSE-SSCT, de l’inspection du travail, de la CARSAT et du médecin du travail ainsi que de l’obligation de conservation des données recueillies).

Concernant la question de la mesure de l’exposition aux fortes températures, des obligations de mesurage réglementaire existent déjà dans le secteur alimentaire en lien avec les questions de sécurité sanitaire (obligation de maîtrise de la température de conservation des denrées alimentaires périssables issue d’un règlement européen assortie d’exigences précises de valeurs à respecter, obligation de justifier, en cas de contrôle, de la périodicité des relevés de température, etc.). Nous ne voyons pas pourquoi il ne serait pas possible d’imposer des mesures réglementaires comparables en matière de santé au travail.

6-En créant un fond interprofessionnel d’indemnisation alimenté exclusivement pour des cotisations des employeurs sur le modèle de la Caisse Intempéries du BTP avec maintien à 100 % du salaire ;

7-En opérant une clarification réglementaire de la notion d’intempéries pour le BTP pour y inclure explicitement les fortes chaleurs ;

8-En créant un délit de non-respect des principes généraux de prévention énoncés à l’article L4121-2 du Code du travail, notamment lorsque l’employeur ne remplit pas son obligation d’adapter le travail à l’homme.

La santé et la sécurité des travailleur.es doivent être garanties en toutes circonstances climatiques.

Il appartient à notre Ministère, garant de l’Ordre public social, de se substituer à chaque fois que nécessaire aux défaillances de certains employeurs en matière de protection de la santé, de la sécurité et des conditions de travail. L’affirmation du seul « bon sens » en la matière ne saurait suffire.

Évidemment, l’ensemble de ces dispositions doit s’accompagner d’un plan massif de recrutement d’Inspectrices et d’Inspecteurs du travail pour atteindre, à échéance d’un plan de recrutement pluriannuel, l’effectif de 5000 agent.es de contrôle sur le terrain.

Nous vous prions de recevoir, Monsieur le Ministre du travail, nos salutations syndicales.