Hommage à Roger Belbeoch

 

Hommage d’Annie Thébaud-Mony :

Roger Belbeoch, ami et militant, est mort le 27 décembre 2011.

En ce début d’année 2012, au nom de l’association Henri Pézerat, ma pensée va tout d’abord vers Bella, sa femme, Marc et Olivier, ses fils, ainsi que ses petits-enfants. Ils savent mon amitié et ma tristesse.

Quelques mots pour partager ce que j’ai eu la chance de connaître avec Roger et Bella, tout à la fois scientifiques et citoyens engagés en contre-pouvoir d’une science sous influence ! Amis d’Henri Pézerat de longue date, tous trois ont été très solidaires dans un combat sans faille pour la vie, la santé, la dignité, la justice. Des images me viennent qui ont jalonné des années d’amitié, de partage, de lutte commune : les longs coups de fil entre Roger ou Bella et Henri, les textes et articles échangés, les évènements commentés, de l’amiante à Tchernobyl, tout au long de leur histoire politique et scientifique. Je pense à ces longs moments de convivialité – en Bretagne, à Paris ou Fontenay – et d’échange sur le nucléaire et ses mensonges, la science et ses dérives, la suprématie implacable de l’économique, mais aussi sur les luttes collectives. Qu’elles aboutissent ou qu’elles échouent, elles sont riches d’enseignement.
Je garde en mémoire, dans les années récentes, après la mort d’Henri, les moments de partage avec Roger et Bella, dans leur appartement parisien. Combien de fois ai-je puisé auprès d’eux le courage de continuer le travail scientifique militant dont eux et Henri m’ont montré le chemin. En dépit de gros soucis de santé, Roger et Bella ont continué à se mobiliser aux côtés de Stop Nogent, de la CRIIRAD, accueillant des militants et des journalistes pour faire connaître leur expérience, leurs points de vue. Fukushima fut une épreuve pour eux : quand l’accident nucléaire survient, disait Roger, il est trop tard ! Leurs ouvrages concernant Tchernobyl en témoignent.

Très attentif à l’évolution des conditions de travail des travailleurs sous-traitants, Roger revenait très souvent sur les limites d’une épidémiologie décontextualisée, qui excluait ces travailleurs les plus exposés à la radioactivité. Le nucléaire était au cœur de ses préoccupations, certes, mais, plus fondamentalement, il était révolté par l’invisibilité des atteintes à la vie des travailleurs, celle des cancers professionnels.  Pour lui, la lutte pour la santé commence dans les lieux de travail, commence avec la santé (souvent mise en danger) des ouvriers.
Il y a quelques jours encore, il me donnait des documents concernant son engagement des années 70 au sein du Groupe Information Travail à Saclay. Ainsi écrivait-il en 1976 : « comment concilier la lutte pour le maintien de l’emploi avec la nocivité qui résulte du travail… ce qui est vrai pour les travailleurs du nucléaire l’est pour tous à des degrés divers, l’armement et l’électronique, le Concorde, les produits chimiques, les bagnoles, y compris le paysan qui arrose la nature de pesticides ! » Réflexion oh combien ! prémonitoire …

Membre de longue date, de Ban Asbestos France, Roger nous a soutenu dans les luttes contre l’amiante, partageant notre inquiétude d’une politique centrée exclusivement sur l’indemnisation (si souvent dérisoire) au détriment d’une action de fond pour la prévention.
Roger avait aussi adhéré à l’association Henri Pézerat et à son objectif de soutenir les luttes citoyennes pour la santé en lien avec le travail et l’environnement. Tout dernièrement, j’avais pu lui raconter le procès engagé contre Monsanto par Paul François, agriculteur gravement contaminé par les pesticides, mobilisé pour un mouvement des victimes de pesticides. Il aura encore fallu plus de trente ans pour que le scandale éclate !
Je veux ici exprimer l’hommage et la gratitude des militants de ces deux associations. Ils savent tout ce que nous devons au travail accompli par Roger et Bella et à leurs convictions.

Il nous reste à continuer comme autant de grains de sable dans les engrenages de ceux qui nous gouvernent, qui exploitent et qui tuent. Roger n’est plus avec nous, mais la mémoire des luttes passées est le terreau de celles du présent. Je garderai en mémoire non seulement ce qu’il m’a appris à comprendre, à connaître, mais aussi l’amitié, l’attention, la convivialité. Mes vœux pour l’association Henri Pézerat en 2012 sont de voir nos luttes s’inscrire en continuité des combats que Roger, Bella et Henri ont menés, et que 2012 nous apporte tout ce dont aucune agence de notation ne pourra nous priver : la solidarité, le partage, l’amitié, la tendresse, l’espoir.

 

Hommage de Michel Guéritte (source)

C’était un grand bonhomme !

Il s’appellait Roger BELBEOCH.

Il a beaucoup oeuvré pour la sortie du nucléaire, en compagnie de son épouse Bella.

Le 27 décembre, à l’âge de 83 ans, il s’en est allé rejoindre Solange FERNEX et tant d’autres dans l’Eden des anti-nucléaires. Têtu comme il était, il aura refusé l’Enfer. Chacun sait que l’Enfer est chauffé au nucléaire.

Il avait une bonne tête de professeur, de savant.
Passer 4 heures en tête à tête avec Roger et Bella laissait quelques souvenirs,
une longue liste de conseils et une certaine envie de ne pas lâcher le morceau.

Comme Bella, il refusait d’être photographié et avait une haine profonde pour la vidéo.
Je me suis fait jeter avec ma caméra…
C’était un homme d’écriture.
Mathias le confirme :
Roger considérait que les photos n’apportaient pas d’information, que seuls comptaient les propos d’un auteur, et qu’une photo n’était qu’une décoration nuisible aux éléments de réflexion qu’il y avait dans les textes, c’est pourquoi il n’a jamais joint sa photo à un de ses textes.

Néanmoins Guillaume a découvert ce rare document vidéo :

Monique SENE a promis de dresser prochainement un portrait de Roger.

En attendant voici quelques faits marquants d’une riche vie, dont ceux communiqués par Chantal.
Sortir du nucléaire, c’est possible, avant la catastrophe.
C’est avant l’accident qu’il faut agir. Après, il n’y a plus qu’à subir.

Jusqu’à son dernier souffle, inlassablement, Roger s’est battu pour cela avec Bella, démontant les mensonges de la propagande nucléaire, apportant ses connaissances et sa contre-expertise scientifique, recoupant l’information.

Dans leur vie professionnelle, utilisateurs d’installations productrices de rayonnement, Roger et Bella s’intéressent aux effets biologiques des rayonnements ionisants qui, depuis plus de 25 ans, sont à l’origine de leur questionnement sur les dangers de l’énergie nucléaire. Ils publieront :

Nucléaire et Santé, 1978, édité par le CCPAH, Comité Contre la Pollution Atomique à La Hague. Assises internationales du retraitement, Equeurdreville, 21-22 octobre 1978. Compte-rendu de la Commission Nucléaire et santé, 68 pages (pdf).

Le risque nucléaire et la santé, 1981, in Pratiques ou Les cahiers de la médecine utopique, n°45, février-mars 1981. Revue du SMG, Syndicat de la médecine générale. Le SMG a édité l’article sous forme de tiré à part (66 pages) qui a été diffusé par la CNAN, Coordination nationale antinucléaire.

Santé et Rayonnement : Effets cancérigènes des faibles doses et rayonnements. 1988 – Collaboration GSIEN/Criirad. Traduction Roger et Bella Belbéoch. Les effets biologiques des faibles doses de rayonnements. Le système international de radioprotection est fondé sur des données fausses.

Société nucléaire, 1990, in Encyclopédie philosophique universelle. Les Notions philosophiques, tome II, pp. 2402-2409, Presses Universitaires de France, août 1990 (télécharger en pdf).

« Les effets biologiques du rayonnement 1990 et Les Mythes de la radioprotection in La Radioactivité et le vivant, Sebes, n° 2 (p. 11-32), Genève, novembre 1990. La revue Sebes (Stratégies énergétiques, Biosphère et Société) forum interdisciplinaire indépendant, est la gazette de l’APAG, organe de l’Association pour l’Appel de Genève.

Tchernobyl, une catastrophe. 1992 – Quelques éléments pour un bilan ». L’Intranquille, une libre contribution à la critique de la servitude, n°1, Paris, 1992, pp. 267-373 (B.P. 75, 76960, Notre-Dame-de-Bondeville).

Tchernobyl, une catastrophe, (1993, Éd. ALLIA), épuisé mais en pdf : extraits (html), intégralité (pdf), interview (html).

Sortir du nucléaire c’est possible, avant la catastrophe, (1998, Éd. l’Esprit frappeur), analyse (html).

Comment sommes-nous « protégés » contre le rayonnement ? 1998 – Les normes internationales de radioprotection. Le rôle de la Commission Internationale de Protection Radiologique » in Radioprotection et droit nucléaire. Entre les contraintes économiques et écologiques, politiques et éthiques, sous la direction d’Ivo Rens et Joël Jakubec, éd. Georg, 1998. Collection Stratégies énergétiques, Biosphère et Société, pp. 43-96 (html).

Tchernoblues – De la servitude volontaire à la nécessité de la servitude, 2002, Éd. l’Esprit frappeur, analyses (voir ici et ).


Avec Monique SENE, Roger et Bella collaborent à la Gazette Nucléaire, revue éditée par le GSIEN, Groupement de Scientifiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire.

Roger était directeur de la publication STOP-NOGENT (voir ici).

En novembre 2010, Roger téléphonait à Chantal pour informer qu’il avait découvert, peu après Tchernobyl, les rejets radioactifs illégaux et gigantesques de la centrale nucléaire de Brennilis.

Au lendemain de Fukushima, Bella et Roger avaient tout de suite diffusé ce cri d’alerte que SDNC avait relayé : 140 000 personnes abandonnées en zone contaminée.

La CRIIRAD  a tenu à manifester sa reconnaissance à Roger :

Roger avait la  capacité d’analyser les problèmes du nucléaire en dehors de tout schéma établi et de toute compromission. Ses analyses  effectuées avec une lucidité, une compétence et une rigueur hors du  commun nous ont alertés depuis longtemps sur les risques liés à l’industrie nucléaire…, risques confirmés par les catastrophes de  Tchernobyl, puis de Fukushima. Roger a toujours recherché la vérité, mais pas les récompenses ou les honneurs. Il laisse un vide que l’on ne pourra pas combler. Ses nombreux  écrits sont heureusement là pour nous éclairer et nous  aider dans le long et difficile combat contre la désinformation. A Bella, sa  compagne, la CRIIRAD exprime sa profonde tristesse et renouvelle son  amitié sincère. »

Le réseau SDN a timidement relayé l’article de Mediapart.

Effectivement Roger était un antinucléaire radical, ce qui le conduisait par exemple à considérer le « charbon propre » comme un moindre mal pour échapper à la fois au désastre nucléaire et au réchauffement climatique. Mais ses informations étaient fiables, et ses analyses rigoureuses.

Un ancien administrateur du réseau SDN rappelle que Roger s’est battu depuis longtemps en solitaire. Revendiquant depuis longtemps la sortie immédiate du nucléaire, il a été quelque peu en désaccord avec le réseau SDN, lui reprochant de défendre des délais de sortie insupportables face à la menace d’accident. Il a défendu l’idée que cette sortie devait impérativement s’accompagner de consommation de fossiles sans attendre ni les renouvelables, ni les économies d’énergie. Ce faisant il ne s’est pas fait d’amis non plus parmi ceux que le réchauffement climatique inquiète.

Laurent Samuel regrette que seuls Médiapart et Reporterre se soient fait l’écho de la mort de cette figure certes peu médiatique, mais capitale dans l’histoire du mouvement antinucléaire français (html).

Reporterre reproduit une de ses analyses, toujours pertinentes, sur le lien entre le nucléaire, les accidents, et la démocratie (html).

Combien il est regrettable que de petites divergences qui d’ailleurs méritent débat conduisent au silence, au refus du devoir de mémoire, voire à l’indifférence.

Non, Roger est grand bonhomme.

Un proche confirme : Roger n’aimait pas les chichi. Par ailleurs il était aussi sensible (intérêt pour les arts et les animaux) qu’intelligent, extrêmement intelligent. Que si on faisait l’effort d’aller outre son mauvais caractère on découvrait ensuite un continent de richesse intellectuel et moral inouï, et il était en plus relativement facile de devenir son copain ensuite. Moi, j’ai tout appris sur le nucléaire grâce à lui et à Bella, mais aussi sur des façons de faire, d’analyser, avec un peu plus de rigueur. Je lui dois beaucoup, et je dois rappeler sa disponibilité à l’autre.
Maintenant il nous faut reprendre le flambeau et nous battre pour l’arrêt immédiat du nucléaire, c’est le plus grand hommage qu’on pourrait lui rendre.

Comme l’écrit Véronique :

un défenseur de la vie nous a quitté, merci Roger pour tout ce que tu as fait. Poursuivons la lutte. »

et Wladimir de conclure :

J’ai bien connu Roger. Il est parti, on continue. »

La lutte continue.
La vie continue.

Meilleurs voeux à la famille de Roger.
Meilleurs voeux à la sortie du nucléaire.
Meilleurs voeux à tous les lecteurs.

Michel GUERITTE

Une rare photo de Roger (source) :