Total : deux condamnations pénales en 24 heures (AZF, Erika)

Total et la sous-traitance du travail et des risques : deux condamnations pénales en 24 heures

 

Communiqué de presse, Association Henri Pézerat, 25 septembre 2012

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lire également le témoignage d’Annie Thébaud-Mony lors du procès AZF en appel

 

La société Grande Paroisse, filiale à 100% du groupe Total et son ex-directeur, Serge Biechlin, sont condamnés au pénal par la Cour d’appel de Toulouse dans l’affaire AZF du 21 septembre 2001.
La Cour de cassation confirme la condamnation pénale de Total dans l’affaire de l’Erika du 12 décembre 1999


 » M. Biechlin, directeur d’une usine Seveso II seuil haut, installée en zone urbaine, ne pouvait pas ignorer les risques découlant du mélange de nitrates et de produits chlorés « , affirment les juges de la cour d’appel de Toulouse, ce jeudi 24 septembre 2012. La condamnation est prononcée par le président : 3 ans de prison dont un ferme et 45 000€ d’amende pour M. Biechlin, 225 000€ d’amende pour la société Grande Paroisse. C’est le maximum requis par la loi. C’est peu au regard des conséquences d’une telle négligence. S’ajoutent, cependant, à la sanction pénale, plusieurs millions d’indemnisation pour les parties civiles.

Après avoir écarté les autres hypothèses jugées « non fondées », le président de la Cour d’appel de Toulouse lit la liste des infractions retenues par les juges. Il souligne le « désintérêt » de M . Biechlin pour les risques supportés par les travailleurs extérieurs, l’absence de rigueur dans l’organisation de la filière déchet, l’absence de contrôle sur la séparation effective des espaces selon la nature de produits chimiques dangereux et incompatibles entre eux. Enfin, l’arrêt insiste sur l’absence de formation et d’information des salariés d’entreprises sous-traitantes concernant les dangers de ces déchets chimiques :  » Il s’agit là de la plus grave parmi toutes les fautes retenues, puisque la décision a été prise, en pleine connaissance de cause, de mettre les salariés en situation de risque sans leur donner les moyens d’y faire face, la conséquence étant, ainsi que les faits du 21 septembre 2001 l’ont amplement démontré, de mettre non seulement ces salariés mais toute l’entreprise et même au-delà la population toulousaine en situation de danger permanent. « 

La sous-traitance du travail, des risques et… de la responsabilité de l’accident – sous-traitance généralisée sur les sites industriels à haut risque – est ainsi lourdement condamnée. Dans un ouvrage poignant et très documenté (http://www.victimesazf.org/livre-gerard-ratier.pdf), Gérard Ratier, qui a perdu un fils dans la catastrophe et préside l’Association de Familles Endeuillées, témoigne des efforts déployés par le groupe Total – s’appuyant sur l’effacement des traces que permet la sous-traitance – pour tenter à tout prix de dégager sa responsabilité pénale en niant l’évidence de l’accident chimique. A tout prix !… y compris l’inadmissible accusation de M. Jandoubi, intérimaire intervenant en sous-traitance sur le site de Grande Paroisse à Toulouse le 21 septembre 2001, mort dans l’accident. La famille de ce dernier a dû défendre son innocence, face à l’accusation d’attentat terroriste, portée par M. Biechlin et la société Grande Paroisse. La cour d’appel a fermement écartée cette hypothèse, rendant justice à la famille Jandoubi qui a subi une terrible « double peine » : la perte d’un être cher et la mise en accusation de celui-ci alors qu’il n’était plus là pour se défendre.

Le jugement de la cour d’appel de Toulouse du 24 septembre 2012 revêt une importance historique. Tout d’abord, c’est, semble-t-il, la première fois depuis 1976 qu’un directeur d’usine est condamné à une peine de prison ferme en raison de sa responsabilité pénale en matière d’accident industriel. En second lieu, ce procès ouvre une brèche dans l’impunité des donneurs d’ordre, souvent mis à l’abri des poursuites par l’architecture du droit du travail rendant responsable le seul employeur sous-traitant.

Une autre brèche dans l’impunité des industriels est celle, historique également, de la confirmation par la Cour de cassation, ce mardi 25 septembre, de toutes les condamnations prononcées dans l’affaire du naufrage de l’Erika, en particulier celle de la compagnie pétrolière Total, condamnée à l’amende maximale de 375 000€. Total, en tant qu’« affréteur véritable » de l’Erika, porte également, selon la cour de cassation, la responsabilité civile. Il lui faudra ainsi « réparer les conséquences du dommage solidairement avec ses co-prévenus d’ores et déjà condamnés » à des dommages et intérêts.

Dans une tribune parue dans le quotidien l’Humanité (24 septembre 2012), quelques heures avant le rendu du jugement de Toulouse, Jean-Paul Teissonnière, avocat de la CGT au procès AZF, plaide pour une meilleure prise en compte, par le droit pénal, des crimes industriels : « La logique industrielle « fabrique » les crimes comme elle fabrique les marchandises : à grande échelle et au moyen d’une organisation rationnelle. Pourtant, la faiblesse des textes répressifs dispersés dans des codifications à vocation catégorielle permet aux responsables qu’ils n’enfreignent aucun interdit majeur. [….] Ce « consentement meurtrier » doit enfin être énoncé comme un interdit majeur. Tant sur le plan international que sur le plan national, des normes nouvelles doivent être énoncées prenant en compte ces formes modernes de criminalité. »

Ayant témoigné au procès de Toulouse (lire ici) et s’associant au soulagement des parties civiles aux deux procès face aux décisions de justice pénale de Toulouse et Paris, Annie Thébaud-Mony tient à exprimer le souhait de l’association Henri Pézerat de voir ces jugements faire jurisprudence et contribuer à une remise en question de la légitimité des crimes industriels et de la sous-traitance de la responsabilité civile et pénale de ces crimes.